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Ces jeunes actifs qui regrettent déjà le confinement

En télétravail, en formation ou au chômage partiel, ces jeunes ont profité du confinement pour se recentrer, prendre le temps de découvrir de nouvelles activités ou de profiter de leur entourage. Un voyage au coeur d’une vie calme et moins stressante, avec un retour à la normale redouté.

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De gauche à droite : Marie, dans son appartement montpelliérain, Maël chez lui, à Paris et Olivier sur sa terrasse à Angers avec son chat Pépito. (@Niemesia ; DR ; DR) Par Camille Wong

C’est une histoire d’amour qui aura duré deux mois. Les protagonistes auraient aimé prolonger l’idylle, mais la réalité les a rattrapés bien trop vite. “Je me suis presque trop habituée à être seule, chez moi”, nous avoue Marie, 26 ans, une jeune active confinée à Montpellier. Si beaucoup de Français ont vécu huit semaines difficiles (précarité, santé, famille, enfermement…) le confinement a été l’occasion pour d’autres, à l’instar de Marie, de favoriser l’introspection, prendre un break bien mérité, tout en découvrant une nouvelle qualité de vie.

“J’ai rapidement mis en place une routine : sport tous les matins, télétravail ensuite, sieste l’après-midi, cuisine quotidienne…” liste Maël, qui travaille pour une ONG environnementale en région parisienne. “Et je me suis aperçu que j’aimais bien ! J’ai même découvert le yoga, la méditation et fait une cure de sébum (ne pas se laver les cheveux durant un mois, ndlr), sans oublier une heure de sommeil quotidien en plus.” 

Ce jeune homme de 32 ans, qui d’habitude sort beaucoup, l’avoue sans détour : il a aimé la solitude du confinement et le temps retrouvé. Mais aussi la découverte de Paris, vidée de ses habitants. En même temps que les panneaux publicitaires et les voitures ont disparu, les oiseaux sont réapparus… Le calme régnait en maître dans la capitale. Et au premier jour du déconfinement, patatra ! “Tout est redevenu comme avant, ça me déprime”, regrette Maël.

Maël dans les rues désertes de Paris.DR

Le confinement, cette situation, ce jamais vu, jamais vécu, a plongé certaines personnes dans une bulle de douceur. “On a observé une espèce de désynchronisation avec notre rythme habituel”, analyse Christine Barois, psychiatre. Et d’ajouter : “Tout ce qui était futile dans la vie a disparu, les heures de transport, les incivilités, la violence de la ville et du monde.”

Je me sens incapable de retrouver le rythme que j’avais avant

Pour cette spécialiste du stress et de l’anxiété, ces adeptes du confinement sont loin d’être des cas isolés. Mais la honte d’en parler a tendance à prendre le dessus. “Le confinement a été une privation de nos libertés, dire combien on l’a apprécié est presque inavouable”, poursuit-elle. D’autant plus que la période a généré beaucoup de souffrance : travailleurs précaires, maladie, décès, tension dans les hôpitaux, crise économique… 

Fin des injonctions sociales

Ce repli sur soi, contraint ou apprécié, a néanmoins eu son lot de belles révélations. Pour Christine Barois, le confinement a fait disparaître les codes sociaux et les identités sociales du paraître qui envahissent notre société. Sans oublier les injonctions sociales : terminées la sortie forcée du week-end ou le selfie en story Instagram pour montrer que chacun s’amuse. “Avant je complexais beaucoup sur le fait d’aimer la solitude, ne pas nécessairement avoir envie de voir mes amis tout le temps. Désormais, j’arrive beaucoup plus à m’affirmer dans mes besoins”, explique Marie, la Montpelliéraine, qui en a profité pour se remettre au dessin. Et sinon, quoi de prévu pour ce week-end ? “Bonne question, c’est encore flou, ce n’est pas grave !”

Avec le confinement, Marie a pris le temps de se remettre au dessin, son premier métier avant de travailler dans la communication.@niemesia

Le confinement a ainsi sonné le clap de fin d’interactions quotidiennes pas toujours souhaitées. “Comme certains collègues, des gens dans la rue, le fait de devoir dire bonjour à tout le monde au travail ou en soirée”, ajoute Maël, pour qui le télétravail longue durée est loin d’être un problème. Hormis peut-être pour tout ce qui touche à l’informel, avec les discussions de couloir ou à la machine à café qui permettent d’être à jour sur les mouvements de l’entreprise. Comme lui, huit Français sur dix qui ont expérimenté le télétravail durant le confinement aimeraient poursuivre l’expérience, au moins en partie, selon un sondage OpinionWay pour “Les Echos”

Même constat chez Marie, qui a découvert le télétravail avec la crise sanitaire. Pour la jeune femme, c’est une révélation. A tel point qu’elle envisage de demander à son patron un mi-temps télétravail/bureau pour la reprise, en juin. “Je me sens incapable de retrouver le rythme que j’avais avant”, confie-t-elle. Et si son employeur refuse ? “Je ne me vois pas rester”, ajoute la jeune femme. 

Des modes de vie et de consommation questionnés

Certains se disent plus productifs à la maison, surtout plus maîtres de leur temps. Des moments libérés qui ne seront pas seulement investis dans l’apprentissage du macramé, mais aussi pour bayer aux corneilles. “J’avais énormément de jeux vidéo et de séries à finir. A l’annonce du confinement, je me suis dit ‘trop bien, je vais pouvoir rattraper mon retard’ tout en faisant des économies”, raconte Olivier, 23 ans, confiné à Angers avec sa copine et leur chat. “Je n’ai pas été créatif, franchement, je n’ai rien fait, je n’ai pas fabriqué de machine à voyager dans le temps”, poursuit-il, un brin rieur. 

Je crains une reprise de l’activité, sans remise en question de notre modèle social et économique

Côté économies, le jeune actif a en effet mis le paquet dans sa poche : plus de 2.000 euros sur deux mois. De quoi faire un beau cadeau pour l’anniversaire de madame et réfléchir sur sa propre consommation. “Avant, j’étais un fana de McDo, jusqu’à trois fois par semaine. Le confinement m’a fait réaliser que je pouvais aisément me passer de malbouffe”, reconnaît-il.

“On assiste à deux catégories de population avec le confinement : celle qui n’a pas de vie intérieure, qui s’est retrouvée face à la brutalité de l’enfermement. Et celle qui a pu voyager à l’intérieur d’elle-même”, ajoute le docteur Barois. 

Payés pour rester à la maison

Le temps du confinement a aussi été celui des enfants, pour le meilleur et pour le pire. De nombreux parents se sont retrouvés sur tous les fronts, à devoir allier école à la maison et télétravail. Mais pour d’autres, cela été le moment de se retrouver pleinement avec sa progéniture.

Gwendoline, 34 ans, est mère d’un garçon de deux ans, pas encore scolarisé. Elle s’est mise en arrêt pour s’occuper du petit durant les premières semaines du confinement à Lorient en Bretagne, avant d’enchaîner sur des congés et du chômage partiel. “Je n’avais plus besoin de courir partout, entre l’école, le travail, les courses, la vie à la maison”, souligne-t-elle. Et d’ajouter : “Puis il ne faut pas se mentir, c’est quand même agréable d’être payée pour rester à la maison et prendre soin de son enfant.” Gwendoline a repris partiellement son travail dans un syndicat le 11 mai, à raison de deux jours par semaine en présentiel. Résultat : 400 mails en attente et un retour à la vie d’avant qui laisse un goût amer.

Cessons de vouloir être productif durant notre confinement : apprenons à nous faire face

“Le passage au chômage partiel m’a fait un break vraiment bienvenu”, témoigne également Thibaut*, étudiant en 5ème année d’informatique et en contrat d’apprentissage dans une petite structure. Le jeune homme de 25 ans, neuro-atypique (une forme d’autisme), habite près de Bordeaux avec son ex-petite amie, en situation de handicap. Entre l’aide à apporter, le travail et les cours, la gestion est vite devenue insupportable. Le confinement, puis le chômage partiel, ont donc été un soulagement.

L’angoisse du retour

Après deux mois passés dans le cocon du confinement, ces actifs connaissent pour la plupart une transition en douceur vers le monde “d’avant” grâce au télétravail et aux sorties auto-restreintes. Mais l’angoisse reste prégnante. D’abord, avec la peur d’un monde qui ne change pas : “Je crains une reprise de l’activité, sans remise en question de notre modèle social et économique”, avoue Maël, qui prône notamment une relance verte, pour que le “monde d’avant ne soit pas le monde d’après”. Et selon un sondage de l’institut YouGov réalisé au début du confinement, 77% des Français pensent en effet que cette crise doit contribuer à mener “une politique ambitieuse de transition écologique”.

Même son de cloche du côté de Thibaut : « Cette période à vu naître beaucoup d’adaptations pour les personnes handicapées que les autorités considéraient comme irréalistes auparavent (télétravail normalisé ou téléconsultations médicales entre autres) Cette pandémie nous a fait grandir, et j’ai peur que tout soit perdu, sacrifié au profit du profit. »

Sans oublier la crise sanitaire, qui rappelle que le virus est toujours présent en France. “La semaine dernière, je suis allé à la banque et à la Poste, j’ai vu énormément de gens qui ne savaient pas porter un masque. Le déconfinement repose sur l’intelligence des Français. Un pari”, lâche Olivier. Et si l’on devait tous être reconfinés ? Marie résume bien la pensée de tous ceux interrogés : “Ça ne me fait ni chaud, ni froid.” Avant de se reprendre : “A part pour les questions sanitaires et économiques…”

*Le prénom a été modifié


Source : Les Échos Start