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La France prendra-t-elle le virage du télétravail ?

Peu pratiqué en France, le télétravail connaît un essor forcé avec la crise sanitaire. Intégré à une vision globale de la mobilité, il peut avoir un impact environnemental bénéfique, tout comme contribuer à revitaliser des territoires.

Dans l’impossibilité de se rendre sur leur lieu de travail, des millions de salariés français, essentiellement des cadres et apparentés, ont expérimenté le télétravail à temps complet pendant le confinement. Un passage forcé pour certains, une réelle opportunité et une découverte pour d’autres. Il a en tout cas imposé aux chefs d’entreprises des pratiques qu’ils pensaient impossibles il y a encore quelques semaines.

La France reste très en retard dans la pratique du travail à domicile par rapport aux pays scandinaves et anglo-saxons. Avant le confinement, seuls 7 % des salariés français pratiquaient le télétravail selon une enquête du Forum Vies Mobiles. « Cela fait des années voire des décennies que l’on parle de télétravail, explique Sylvie Landriève, co-directeur du Forum. En réalité, sa pratique en France avance très peu, et cela malgré des assouplissements législatifs ces dernières années. Il y a une réelle réticence d’une partie des entreprises et des managers à ne pas avoir de contrôle visuel de leurs salariés ».

Adhésion des néo-télétravailleurs

Pendant le confinement, 33 % des personnes en activité ont pratiqué le télétravail. Des nouveaux télétravailleurs encore actifs avec un déconfinement progressif et un virus toujours en circulation dans le pays. L’expérience ne s’est pas toujours réalisée dans les meilleures conditions, avec un espace de travail à aménager en quelques jours, une famille présente au domicile, et parfois un suivi scolaire à assurer. Néanmoins, 53 % des gens l’ont vécu positivement, que ce soit du fait de la réduction des déplacements domicile-travail, ou d’une meilleure organisation de son rythme de vie. Un sondage de CSA pour Malakoff Humanis confirme cet intérêt des Français : 73 % des télétravailleurs interrogés souhaitent continuer leur pratique à domicile de manière régulière (pour 32 %) ou ponctuelle (41 %). Ils sont 35 % à penser que cette période va modifier la position de leur entreprise à l’égard de cette pratique.

« Cette expérience peut constituer un levier de changement structurelavec un rééquilibrage des pratiques, estime Sylvie Landriève. Le confinement a prouvé qu’une partie du travail pouvait se faire à distance, et il sera désormais plus compliqué aux managers de refuser du télétravail. » D’ailleurs plusieurs groupes veulent accélérer sur le sujet, et le recours au télétravail se renforce. Le 6 mai, le groupe automobile PSA annonçait, dans un communiqué, vouloir faire du télétravail « la nouvelle référence pour les activités qui ne sont pas directement liées à la production ». La présence sur site ne sera plus que d’une journée à une journée et demi par semaine en moyenne, pour 80 000 salariés dans le tertiaire, le commercial, et la recherche-développement.

La mobilité des Français sous-estimée

73 % des télétravailleurs interrogés souhaitent continuer leur pratique à domicile de manière régulière ou ponctuelle. Ils sont 35 % à penser que cette période va modifier la position de leur entreprise à l’égard de cette pratique. Sondage CSA

 « Il y a une volonté des salariés de réorganiser leurs vies en dehors du travail, un facteur à prendre en compte par les chefs d’entreprise », explique Sylvie Landriève. Un constat particulièrement marqué en Île-de-France, où 45 % de ses habitants souhaitent quitter la région, selon une enquête publiée en 2018 par le Forum Vies Mobiles. Motivations invoquées : les rythmes de vie trop stressant, la pollution, le coût de l’immobilier, ou le trafic automobile. « Contrairement à ce que l’on dit habituellement, on ne se déplace pas moins quand on vit dans une ville dense », précise Sylvie Landriève. Les résultats d’une étude publiée juste avant le confinement montrent qu’un Francilien parcourt autant de kilomètres que dans le reste du territoire, tout en y consacrant deux ou trois heures de plus. « Même au niveau national, nos études montrent que les chiffres sur la mobilité des Français sont largement sous-estimés, poursuit-elle. Avec ces forts volumes de déplacements, les politiques publiques ne peuvent se contenter de miser sur les changements des comportements individuels ou sur les modes actifs (marche et vélo) pour limiter les émissions de gaz à effet de serre ».

Des gains environnementaux

D’après l’Ademe, l’agence de la transition écologique, 74 % des salariés français se rendent en voiture au travail, 11 % en transport en commun. En Île-de-France, 41 % des salariés utilisent leur voiture pour aller au bureau, malgré une offre de transport en commun pléthorique, mais très saturée. Alors que le trafic routier est le premier contributeur de l’émission de gaz à effet de serre en France (30 % des émissions), le télétravail concourt-il à limiter ces émissions ?

L’Ademe avait tenté de répondre à la question en 2015. Une étude menée par l’agence avançait que le télétravail permet « de réduire d’environ 30 % les impacts environnementaux associés aux trajets domicile-bureau ». Un gain qui atteint jusqu’à 58 % pour les émissions de particules fines. « Sur 2,9 jours télétravaillés par semaine, cela représente une économie potentielle de 787 kg de CO2 par individu et par an (contre environ 12,2 t de CO2 au total par individu et par an) », précisait l’étudeEn extrapolant à l’échelle d’une entreprise de 1 000 salariés, télétravailler un jour par semaine permettrait d’éviter l’équivalent des émissions annuelles de gaz à effet de serre d’environ 37 Français.

Des effets rebonds à évaluer

Les résultats sont moins favorables, mais toujours positifs, si l’on inclut des effets indirects tels que les changements d’utilisation du véhicule pour des trajets personnels ou la consommation d’énergie au domicile. « Il reste à totalement identifier les effets rebonds dus à cette pratique du télétravail que nous avons eu des difficultés à évaluer sur cette première étude », admet Jérémie Almosni, chef de service Transports et Mobilités à l’Ademe.

« Le télétravail libère du temps pour d’autres déplacements non liés au travail et rend acceptable des trajets domicile-travail plus importants car moins fréquents, précise Sylvie Landriève. Pour comprendre le rôle du télétravail dans la transition écologique, il convient de mener une réflexion sur la manière dont le temps libéré est utilisé, et sur les cadres de vie auxquels sa pratique donne accès ».

L’Ademe sortira cet été une étude sur les effets du télétravail sur les modes de vie et les déplacements associés. « Les travaux en cours montrent de nouvelles externalités positives, explique Jérémie Almosni. Le télétravail peut redéfinir des réseaux de proximité, et offre aux territoires la possibilité de se revitaliser ». Les ventes en circuit-court ou les centres désertés des petites villes pourraient donc bénéficier d’un essor du télétravail.

Source : https://www.actu-environnement.com/ae/news/teletravail-confinement-covid19-france-35505.php4