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Comment on voyait le télétravail il y a 20 ans

En 2000, notre journaliste Bruno Monier-Vinard avait imaginé ce que serait le télétravail. Ses intuitions étaient-elles les bonnes ? À vous de juger.

Crise sanitaire du coronavirus oblige, pas moins d’un tiers des salariés français ont bon gré, mal gré, expérimenté le télétravail à domicile pendant presque trois mois de confinement. Réduire ses trajets entre son lieu d’habitation, ou de villégiature, et son bureau, mieux profiter ainsi de sa famille, vivre davantage au grand air… Les nombreux atouts de cette formule sont désormais mieux connus et ce mouvement en marche ne semble pas vouloir s’arrêter en si bon chemin. Toutefois, rien de nouveau sous le soleil si l’on se penche sur un article que Bruno Monier-Vinard, journaliste chargé des rubriques Immobilier et Architecture au Point, avait écrit en 2000 pour le mensuel Web Magazine (groupe Prisma-Presse) un article intitulé « Fini le bureau, vive le télétravail ! ». Diablement dans l’air du temps, la reproduction de ce document d’archive pose toutefois avec acuité la question de la lente évolution de nos modes de travail.

Entre cocotiers et ciel bleu, la maison-bureau de Michel Landschoot s’ouvre sur l’océan Pacifique… Cet informaticien de 46 ans a quitté Bourges en 1999 pour s’établir sur l’île polynésienne de Moorea, près de Tahiti. Il travaille désormais à domicile : consultant, il réalise des sites Web pour des entreprises, tout en gardant un œil sur les vagues qui roulent sur la plage. Qui n’a jamais rêvé, comme lui, d’installer son bureau à la maison et de rompre avec la pesante routine métro-boulot-dodo ? Ils sont des milliers à avoir tenté l’aventure, nomades SBF (sans bureau fixe) ou préférant simplement plancher chez eux, en charentaises ! Secrétaires, traducteurs, commerciaux, ingénieurs ou experts-comptables… tous travaillent à distance grâce au Net. Apparu dans les années quatre-vingt, le concept du télétravail bénéficie aujourd’hui des progrès de la technique. La souplesse d’utilisation du Web, son faible coût d’utilisation et ses connexions rapides permettent de s’organiser autrement. Idem pour les ordinateurs portables et autres outils de groupware (sofware de partage de données), désormais accessibles au grand public. Le logiciel Lotus Notes, par exemple, permet à des cadres ou des consultants indépendants, installés n’importe où dans le monde, de télétravailler sur les mêmes documents. Quant aux salariés qui s’adonnent au « pendulaire » (un jour chez soi, un jour en entreprise), ils peuvent grâce à un autre programme informatique, PC Anywhere, récupérer à distance le contenu du disque dur de leur ordinateur de bureau. Enfin, la sécurité des transferts, point sensible s’il en est, tend à s’améliorer : les nouveaux logiciels de cryptage garantissent mieux qu’avant la confidentialité des données. Pas étonnant, dans ces conditions, que de plus en plus de personnes se convertissent au télétravail. En France, 420 000 salariés ont déjà franchi le pas. Un chiffre modeste, à peine 1,8 % de la population active, mais qui ne peut qu’augmenter. D’abord parce que notre pays se « tertiarise » : de plus en plus d’actifs travaillent dans le secteur des services (agences de voyages, call-centers…). Or, beaucoup de ces professions se prêtent parfaitement au télétravail. Ensuite, de nombreux citadins veulent changer d’air. « Pouvoir éviter les embouteillages quotidiens est un luxe incroyable ! » reconnaît Magali Martin, assistante de direction chez Lotus France. La jeune femme pratique le télétravail alterné. Deux jours par semaine chez son employeur, et le reste du temps à domicile. Magali réduit ainsi la fréquence de ses trajets entre son habitation d’Enghien et le siège de sa société à La Défense. Même enthousiasme de la part de Yolaine de la Bigne, journaliste pour France Info, qui vit en Bretagne. « Les avancées de la formule sont bien connues : être plus proche de sa famille, perdre moins de temps dans les transports, confie-t-elle. Mais le travail en indépendant demande cependant beaucoup d’organisation. C’est une question de maturité ! »

Un « travail effectué à distance à l’aide d’outils informatiques »

Commandes urgentes à gérer, sollicitations familiales incessantes… Plus autonomes, les travailleurs indépendants sont aussi, paradoxalement, plus dépendants des événements. Mieux vaut donc savoir ce qui vous attend avant de vous lancer. « On ne s’improvise pas free-lance du jour au lendemain, avertit Andy Weal, traducteur indépendant, en région lyonnaise. Il faut avoir le bon profil et les compétences requises. Alors, seulement, pourra-t-on profiter des avantages annexes. » La condition indispensable ? Une très forte capacité d’adaptation. En effet, le télétravailleur fonctionne seul. Sans contacts réguliers avec l’extérieur, il peut se sentir isolé, voire marginalisé. En outre, il pratique souvent des horaires bien supérieurs aux 35 heures de ses homologues salariés. Beaucoup d’indépendants avouent travailler la nuit ou le samedi. Et leurs rémunérations seraient inférieures d’environ 30 % en moyenne. Petite compensation : un logement coûte moins cher à la campagne qu’en ville. Enfin, la couverture sociale est souvent moins bonne et plus coûteuse. Conséquence : de plus en plus de salariés indépendants se regroupent pour s’épauler, échanger des tuyaux ou mieux se défendre. Là encore, Internet constitue une aide précieuse. Sur le Web, les « solos » s’organisent en communautés. Teletravailonline.com, AFTT. net, Cyberworkers.com, Kalifeye.com… Ces sites spécialisés leur permettent de se référencer sur des annuaires professionnels, de dénicher des contrats, de bénéficier de conseils techniques et de discuter entre eux.

Les profils de ces professionnels sont très variés, tant les contours du télétravail sont encore flous. Thierry Breton, patron de Thompson et responsable de la mission interministérielle sur le télétravail, parle d’un « travail effectué à distance à l’aide d’outils informatiques ». Ceci sans possibilité pour le commanditaire de surveiller l’exécution de la tâche ! Cette définition recouvre en fait quatre grandes pratiques. Les « solos », tout d’abord. Ces 45 000 travailleurs free-lance, aussi baptisés Soho (small office/home office : petite entreprise/entreprise à domicile), planchent depuis chez eux pour le compte de leurs clients. Deuxième cas de figure : les nomades ou télétravailleurs salariés itinérants (commerciaux, etc.). La troisième catégorie, celle des « pendulaires », regroupe ceux qui alternent une activité entre leur bureau et leur domicile. Apparaît enfin une famille moins répandue, les personnes travaillant dans les télécentres. La formule permet à plusieurs entreprises de mettre à disposition de quelques-uns de leurs salariés un local commercial plus proche de leur domicile. Par exemple, Corinne Jacquelin, assistante de direction chez Hewlett Packard, travaille au Téléspace de Villars-de-Lans sur le plateau du Vercors. « Je ne suis pas obligée de descendre quotidiennement à Grenoble et j’économise ainsi moins de deux heures de transport par jour ! » se réjouit-elle.

La notion du “je te vois, donc tu travailles”, à vécu

Mais les salariés ne sont pas les seuls gagnants dans le télétravail. Les entreprises, mais aussi la collectivité, peuvent en tirer profit. Avec le « pendulaire », notamment, les firmes diminuent leurs frais fixes et bénéficient d’une productivité accrue. Encore faudra-t-il convaincre les réticences des différents niveaux d’encadrement, obligés de repenser leur système de management. « La notion du « je te vois, donc tu travailles », à vécu », déclare Denis Ettighoffer, consultant en organisation. Le cadre de demain ne se reconnaîtra plus à la taille de son bureau ni au nombre de ses collaborateurs. Ce sera son niveau d’accès et d’intervention sur le serveur commun qui fera de lui un homme clé.

De grands groupes jouent déjà les pionniers. France Télécom, par exemple, comptait au premier semestre 2000, environ 8 600 travailleurs à distance, soit 5,6 % de son personnel. Certains de ces salariés sont munis d’un package, le « service PC nomade », composé d’un portable avec modem, d’un kit pédagogique et d’une hot line. Enfin, 4 000 salariés de France Télécom utilisent déjà des outils de groupeware.

Les pouvoirs publics observent ces expériences avec intérêt. Pour un État moderne, le télétravail présente plusieurs avantages. « Alors que 80 % des actifs français travaillent sur 20 % du territoire, national, le travail à distance réduirait la désertification rurale ! » plaide Gérard Vallet de l’ANDT (Association nationale pour le développement du télétravail). « Et les handicapés pourraient bien être les premiers bénéficiaires de cette réorganisation du travail », renchérit Jean-Michel Coulon, de l’Adapt, un organisme qui favorise l’insertion des handicapés. Comme d’habitude, l’exemple pourrait venir des pays anglo-saxons ou scandinaves. Selon Telework 2000, une étude de l’Union européenne, l’Angleterre et l’Allemagne compteraient deux fois plus de télétravailleurs que la France. Et en Scandinavie, la proportion d’actifs concernée oscillerait entre 10 et 15 %. Des résultats exceptionnels, obtenus grâce à un interventionnisme intelligent. Ainsi, chez nos cousins danois, une loi fiscale, votée dans le cadre du projet « Danemark numérique », a exonéré de taxes les ordinateurs fournis aux salariés par leur employeur. Résultat, en 1998 pas moins de 630 000 micros furent offerts, les entreprises augmentant au passage les compétences informatiques de leurs salariés… Puisqu’on vous dit qu’Internet et le télétravail peuvent profiter à tout le monde !

Source : https://www.lepoint.fr/art-de-vivre/comment-on-voyait-le-teletravail-il-y-a-20-ans-23-08-2020-2388636_4.php